Première exposition personnelle à la Galerie Vendôme, du 12 au 29 avril 1961

Juliette Darle dans le catalogue de l'exposition :

Pour ceux que fascine le mystère de la création, c’est chose passionnante qu’un voyage à la source, un regard posé sur l’œuvre première, celle où tout commence de ce qui sera la vision d’un peintre, son style, le combat singulier qu’il aura mené au cœur de la lumière et de l’univers.

Voici René Aberlenc au seuil de sa première exposition. Et l’unité de son œuvre apparaît exemplaire, comme la constance de son effort, la rectitude du chemin parcouru. Si j’en imagine le départ, toujours me revient à la mémoire cette nature morte merveilleusement éclairée, peinte depuis une quinzaine d’années, ces quelques verres et ces bouteilles sur le coin d’une table, que l’on ne peut voir sans penser à Jean-Baptiste Chardin.

Et ceux qui la regarderont n’ont pas fini de s’interroger sur l’étrange pureté de ce miroir que peut devenir une œuvre peinte, sur cette transparence dont nul ne saura jamais si elle vient de l’âme ou de la limpidité de l’air dans les matins cévenols.

Il y eut au départ un don radieux.

Et ces objets plus véridiques, plus beaux que nature ne tenaient point du hasard leur pouvoir d’incantation. Car je n’ai entendu personne parler comme ce jeune peintre autodidacte de la simplicité inimitable d’un Chardin ou d’un Corot. Je n’ai vu personne hanté par Rembrandt comme peut l’être parfois Aberlenc devant un visage humain.

Longtemps il éprouva devant la couleur quelque chose de semblable à ce mystérieux interdit dont parlait, à propos de certains mots, Paul Eluard. Des bruns, des terres d’ombre faisaient alors vibrer des formes d’une âpre beauté, d’une austérité parfois poignante. Des coins d’atelier, des séries admirables de brochets et de truites, dont celle qui valut à son auteur le prix de la Jeune Peinture, témoignent de ce lyrisme sombre.

La monochromie, la période de réserve et de tourment préparaient l’éclosion actuelle, cette libération incoercible de la couleur, ce printemps d’arbres en fleurs et de nus, ce bonheur des vallées, des villages l’été, ce passage du clair-obscur à l’arc-en-ciel pour un peintre qui entend ne rien renier des formes, ni de la vérité des apparences sensibles.

Il peut désormais s’abandonner à son rêve d’exprimer en de vastes compositions les rapports entre les hommes, la densité dramatique de la vie.

Avec une telle conscience et la probité absolue de sa démarche, René Aberlenc n’a cessé de progresser. Cette exposition, qui sera pour beaucoup une révélation exceptionnelle, n’a rien à voir avec la plupart de premières manifestations de jeunes.

Par son originalité, sa vigueur expressive, Aberlenc prend dès aujourd’hui place parmi les plus grands de ce temps, parmi ceux qui réinventent un réalisme vivant. "

Juliette Darle dans " L’Humanité " du 12 avril 1961, " Les arts et la Vie – René Aberlenc ou le réalisme exigeant (Du clair-obscur à l’arc-en-ciel) " :

" La première exposition du peintre Aberlenc fera sans doute événement. Le vernissage aura lieu cet après-midi de 16 à 20 heures à la Galerie Vendôme. Ce n’est pas chose habituelle que d’avoir à saluer la révélation d’un créateur résolument réaliste.

Voici donc aujourd’hui que s’ouvre à tous les yeux cet enchantement de formes puissantes et de couleurs splendidement accordées, cette œuvre de René Aberlenc qui représente chez le jeune peintre des années d’effort et d’amour du monde réel.

L’exposition qu’il présente aujourd’hui à la Galerie Vendôme est celle d’un peintre depuis longtemps engagé dans sa voie personnelle et qui n’a cessé de progresser, d’approfondir la connaissance secrète qu’il peut avoir d’un objet, d’un poisson, d’un paysage de l' Ardèche, ou d’un être humain. Il n’a cessé d’apprendre l’art incomparable de magnifier par les couleurs et les formes l’apparence même de la vie courante.

L’exception, ici, c’est qu’il s’agisse d’une première exposition. Le jeune peintre que l’on découvre soudain par un ensemble de toiles significatives arrive à la maîtrise de son art. Mais il n’est pas de ceux qui s’immobilisent dans une manière ou un style. Et l’on s’émerveille de voir un artiste à ce moment privilégié de son évolution où il se libère de certaines contraintes intérieures, tout à la joie de la couleur, à l’éblouissante métamorphose de ses moyens d’expression.

Aberlenc est loin d’être à ce jour un peintre inconnu. Voici des années que l’on remarque ses toiles au hasard de manifestations d’ensemble et des salons. Et l’on garde longuement en mémoire certaines peintures d’une singulière densité dans leurs harmonies sourdes, cette palette ou ce chevalet dans un coin d’atelier, un bal en plein air ou une scène de rue, ce nu d’une plénitude sculpturale que l’on a pu voir au dernier Salon d’Automne.

Le groupe de la Ruche

Le peintre évolue en dehors des conformismes, des modes passagères. Si l’on se soucie de le situer, on pourra se souvenir qu’en feuilletant l’album qu’Elsa Triolet et Robert Doisneau consacrèrent voici quelques années à la vie insolite et merveilleuse de Paris, on l’avait aperçu, un peu à contre-jour, parmi ceux qui furent ses amis et ses compagnons de départ, Paul Rebeyrolle, Thompson, Gérard Tisserand, Michel de Gallard, devant cette rotonde de la Ruche où sont endormis tant de souvenirs, de grandeur et de déchirements.

Ce groupe dit de la Ruche, où se retrouvaient encore des peintres aussi authentiques que Roger Grand, Elisabeth Dujarric, Simone Dat, Claude Autenheimer, Cueco, Pierre Garcia-Fons, on ne peut en séparer les belles années des recherches d’Aberlenc à son arrivée à Paris. Il faudrait pouvoir évoquer ce que fut alors la vie difficile de la plupart de ces jeunes gens et leur passion d’une réalité moderne, leur commune admiration pour Courbet, ce goût chez eux de l’âpreté (…).

Le bonheur de peindre

Je comprendrais que l’on regrettât de n’avoir vu un ensemble des peintures antérieures d’Aberlenc, où ne chantait pas encore le bonheur de peindre, de s’accorder à la vie, qui prend aujourd’hui cet éclat d’évidence.

L’exposition actuelle, c’est l’épanouissement prodigieux de la couleur et de l’émotion, de la liberté créatrice. Elle force l’admiration parce qu’en ces jours où l’ivresse de la couleur fait perdre à tant de peintres le sens le plus élémentaire du dessin et le goût de la forme, Aberlenc cerne de plus en plus près cette vérité des choses, dont Léonard de Vinci assurait qu’elle est la pâture essentielle de l’esprit.

L’unité de l’esprit, une certaine exigence de la vérité donnent un accent unique aux toiles les plus différentes, paysages d’Aubenas ou de la haute Ardèche, visions d’un coin de Paris, natures mortes d’une belle rigueur, truites, bouquets d’iris ou vergers en fleurs... Il y a là aussi quelques visages d’enfants, des femmes à leur toilette et la lumière à leurs corps se mêle.. La profondeur du sentiment anime d’une vie sereine, d’une inoubliable plénitude le groupe de la mère et de l’enfant au sein.

Incontestablement, Aberlenc s’affirme comme un grand peintre, l’un de ceux qui introduisent une vision nouvelle dans le courant véritable de l’art français. "

George Besson dans " Les Lettres Françaises " du 20 au 26 avril 1961, " Aberlenc (Galerie Vendôme) " :

" Juliette Darle a trop exactement défini le talent du trop discret René Aberlenc pour qu’il soit utile de revenir sur le cas de ce bon, de ce scrupuleux ouvrier de la peinture. Qu’ajouter, sinon un témoignage supplémentaire d’admiration, au moins tricheur des artistes, pour cette peinture franche et solide, qui rend émouvantes les nobles visions de l’Ardèche et de Paris, certaines figures et ces étonnantes truites de forte taille si savamment rissolées. (N’est-ce pas Gustave d’Ornans ? N’est-ce pas Rebeyrolles ?) Pour tout dire, une exposition de choix, la première - qu’on se le dise - d’un peintre qui, arrivé à la quarantaine, trouva plus utile et honnête de donner des muscles à sa technique que de faire périodiquement le trottoir, dès l’âge de vingt ans, pour entôler les jobards. "

" L’Information " du 21 avril 1961 :

" (…) Aberlenc (Prix des Jeunes peintres 1956) présente sa première exposition. On est frappé par la rigueur et l’unité exemplaire de cette œuvre nourrie de bonne culture classique. Aberlenc ne renie jamais la réalité (…) "

J. J. dans " Journal de l’Amateur d’Art " du 25 avril 1961, " Aberlenc (Galerie Vendôme) " :

" Croirait-on que l’Exposition de René Aberlenc soit la première ? On en douterait aisément tant l’artiste fait déjà montre d’un métier solide auquel ne font défaut ni le tempérament ni la sensibilité. Natures mortes, bouquets, nus et paysages sont pour lui autant d’occasions de donner sa mesure – et elle n’est pas mince ! "On ne peut voir ces quelques verres et ces bouteilles sur le coin d’une table sans penser à Jean-Baptiste Chardin" écrit fort à propos Juliette Darle. Nous songeons également à Courbet devant la truite qu’il a magistralement brossée. "

Michel Troche dans " France Nouvelle " du 26 avril 1961, " Aberlenc : une vision amoureuse de la réalité. Aberlenc, Prix de la Jeune Peinture en 1956, expose pour la première fois à la Galerie Vendôme, 12 rue de la Paix. " :

ABERLENC est un peintre vrai, sincère et honnête. La peinture n’est pas pour lui une distraction accessoire, mais une passion quotidienne et réfléchie. Il a su préserver dans des conditions parfois difficiles un authentique souci de création. Chacun de ses tableaux reflète avec bonheur une vision amoureuse de la réalité, Que ce soient " Les truites " savamment enrobées de touches multiples et constellées de lumières fines, l’atmosphère d’un " Jardin " ou l’étagement varié de quelques toits dans un " Paysage urbain ", Aberlenc joue avec la couleur de manière heureuse et sensible. Mais peut-être n’est-il jamais autant lui-même que dans un tableau intitulé simplement " Petit nu debout " ou le merveilleux " Nu sur fond rouge " qui condense à lui tout seul les qualités extrêmes de son tempérament de coloriste et l’humaine franchise de sa réflexion. "

Raymond Cogniat dans " Le Figaro " du 27 avril 1961, " Aberlenc " :

" Il y a déjà plusieurs années que, de Salons en Salons, nous suivons l’évolution du jeune peintre Aberlenc. Il a eu la sagesse de poursuivre pendant quelques temps ses expériences avant de présenter une exposition personnelle. Celle qui a lieu actuellement est donc le premier ensemble où l’on peut juger son style et son écriture. Il nous apparaît déjà avec une maturité et une unité qui définissent très précisément son caractère. Son art appartient certes à ce réalisme né après la guerre, mais il n’en a pas l’aspect désespéré. On sent bien que le sujet chez lui a une grande importance, pas au point que l’on puisse y trouver une signification sociale ; ses nus, ses paysages, ses natures mortes le montrent marqué par un certain sens de l’humanité (...) avec une matière rugueuse, mais il y a dans ce réalisme une sensibilité et même une sensualité qui s’expriment dans le frémissement de la matière, par la densité qu’il donne aux formes et aux objets tout an leur laissant une surface assez vibrante dans la lumière. "

May Tamisa dans " La Revue Parlementaire " du 30 avril 1961, " Les Galeries " :

" ABERLENC fait sa première exposition personnelle ; il est remarquablement présenté par Juliette DARLE ; ce jeune peintre autodidacte qui a eu en 1956 le Prix des Jeunes Peintres est à présent l’un des meilleurs parmi les jeunes ; ses Natures mortes révèlent sa passion pour CHARDIN et dans ses Paysages, il sait retrouver la poésie de COROT. Ses " Nus " solides sont très vivants, le mouvement en est parfait et " La Toilette " fait penser à BONNARD. Toujours en progrès, ABERLENC doit aller loin "

" Masques et Visages – La Celle Saint-Cloud " de mai 1961, " Les Arts – Aberlenc à la galerie Vendôme " :

" De très beaux nus, des natures mortes, des fleurs, des paysages sont traités par René Aberlenc avec un grand sérieux, une science de la composition et une recherche dans la couleur qui laissent passer, cependant, une émotion délicate, un charme intimiste qui nous retient. La personnalité d’Aberlenc, artiste probe et sincère, est parmi les jeunes peintres, une des plus attachantes. "

Jean Chabanon dans " Le Peintre " du premier mai 1961, " Les Expositions "  :

" Le dessin pur, sans concession au joli mais préservant la beauté du modèle, enserre le contenu plastique de la couleur posée en larges touches. Des natures mortes irradient une juste lumière ; les paysages ont leur poids de soleil et d’ombre ; les femmes nues sont des déesses qui posent en gestes familiers. Un beau peintre. "

Guy Dornand dans " Libération " du 11 mai 1961 :

" (…) Aberlenc. – Une belle exposition qui confirme pleinement les qualités de robuste et sain naturalisme du peintre. Un dessin fidèle est à la base de la construction ou de la composition ; figures et paysages se parent de couleurs bien accordées, lumineuses et largement posées (Galerie Vendôme) "