Lydia Harambourg dans "la Gazette de l'Hôtel Drouot" n° 30, du 27 juillet 2001, p. 23, rubrique "de Musées en Galeries" (illustré par "la truite aux deux citrons" 1969) :
"Disparu prématurément, le peintre René Aberlenc (1920-1971) laisse une œuvre dense et variée. La vigueur de son style, alliant des solides qualités de dessinateur à des talents de coloriste, en a fait autour des années 60 un des chefs de file de l’école figurative de Paris. La ville de Bagnols, dont le musée conserve la donation George Besson, critique d’art attaché à défendre la grande tradition picturale, accueille opportunément la rétrospective de l’artiste, Languedocien d’origine. " Chacun de ses sujets était un domaine d’harmonie où paraît le caractère humain de son art ", écrivait ce critique. Des nus vibrants dans la lumière, des natures mortes peintes dans une matière rugueuse et des paysages dont le respect de la forme s’exprime dans un authentique souci d’exactitude témoignent d’un réalisme à l’aune de son métier parfaitement accompli.
Dans les années d’après-guerre, des groupes se forment par affinités esthétiques, des engagements orientent des parcours. Aberlenc a choisi son camp dès son arrivée à Paris. Il élit la nature comme modèle, loin des courants formalistes et transmet la vie à son sujet qui trouve sous son pinceau une simplicité et une sensualité dans la continuité de Chardin ou de Corot. Dans le cheminement qui est le sien, il est soutenu par un sens du naturel qui évolue d’un goût fruste à un souffle plus ample. Ses premières peintures, contemporaines de l’époque de La Ruche, révèlent comme celles de ses compagnons Rebeyrolle, de Gallard, Simone Dat ou encore Thompson une âpreté dans des sujets simples où se lit une certaine angoisse existentielle propre à toute cette génération.
Si la référence à Courbet est évidente dans ses vues d’atelier, ses séries de brochets et de truites, l’une de ces dernières lui ayant d’ailleurs valu le prix de la jeune peinture en 1956, ce lyrisme sombre s’atténue avec une libération de la couleur qui s’exprime à partir de touches multiples et serrées en faisceaux rayonnants. Une certaine monochromie brune ou couleur terre est abandonnée pour laisser éclore autour des années 60 une couleur chaude faisant alterner les tons sourds et les éclats chromatiques. Cette ardeur mesurée de la touche traduit avec justesse les paysages de banlieue où s’étagent des toits en facettes colorées, les nus aux gestes familiers baignant sensuellement dans la lumière. Prix de la critique en 1965, Aberlenc transmet à sa peinture la substance des choses.
Centre d’art rhodanien Saint-Maur. 12, rue Fernand Crémieux. Jusqu’au 18 août."
Jean-Marie Menez, Président de l’Association des Amis des Musées de Bagnols-sur-Cèze, dans la plaquette de l'exposition "Rétrospective" (juin-août 2001) : "René ABERLENC, un peintre de métier ou la passion contrôlée" :
"L’hommage que nous rendons aujourd’hui à René Aberlenc est bien modeste vu les qualités exceptionnelles que cet artiste a su développer au cours de sa vie, malheureusement trop brève.
Son œuvre est poésie quotidienne, rythmée par une qualité picturale savamment obtenue par un travail sérieux, un ensemble imprégné de cette qualité humaine que l’on trouve dans la peinture figurative du XXème siècle. René Aberlenc transcende la matière par des touches denses et colorées, des valeurs prémonitoires que l’on découvrira plus tard dans l’art contemporain, tout comme avant lui, les peintres Corot, Delacroix, Manet et Courbet, annonciateurs de l’impressionnisme.
Des dons ? Certes, mais aussi un travail opiniâtre, un travail qui est "passion généreuse ", où la matière devient lumière.
L’œuvre de René Aberlenc plonge ses racines dans la vie de tous les jours, simple mais vraie. Renoir ne disait-il pas à plus de 75 ans, qu’il était simplement un modeste ouvrier de la peinture… et que le reste était bavardage inutile.
René Aberlenc était le meilleur et le plus fidèle des amis, il possédait l’élégance naturelle du cœur, savait transmettre un conseil avec humilité, un sourire, partager un repas le plus modeste qui devenait inoubliable.
Inoubliables aussi, les visites d’atelier d’un copain peintre ou sculpteur en compagnie de George Besson et de René Aberlenc, c’était une véritable jouissance d’émotions toujours renouvelées.
André Gide écrivait que le Génie en Art "ne pouvait être supportable que s’il était humain et partagé".
René Aberlenc était passé maître dans cette générosité créatrice. Aujourd’hui, il nous manque comme nous manque George Besson, tous deux disparus la même année (1971), deux amis si chers, des maîtres du savoir et du bon goût français.
Ils sont en nous comme au premier jour de notre rencontre, il y a plus de quarante ans déjà !
Pour quelques semaines, les œuvres de René Aberlenc vont illuminer les cimaises du Centre d’Art Rhodanien Saint-Maur. "Une grande fête ", celle du talent et de l’amitié réunis, c’est à dire la vie."