"Nous pénétrons dans une Lumière sans chiffre" (André Antonin)
Biographie d'André Antonin sur Wikipédia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Antonin
Poème d’André Antonin (1914-1977) dédié à son frère René Aberlenc
Première version parue dans "Bételgeuse" N° 23, p. 20.
LA MORT DU PEINTRE
In Memoriam René Aberlenc
La poussière s’accumule lentement dans les trous.
Surtout que personne n’entre
De crainte de déplacer les perspectives de l’ombre.
Quand le soir fige aux fenêtres, ce qui est frappe
De quel rayon ce qui aurait pu être !
Le regard reste ouvert sur le vide
Et le vide s’enfonce comme un poignard.
Matin d’été : un oiseau donna le signal.
Ce ne fut qu’un jet.
Aussitôt ce durcissement, aussitôt ce silence
Où les meubles sont restés suspendus.
Tout demeure à sa place
Sans qu’on puisse jamais retrouver ce qu’on cherche
Et nul ne vient frapper à la porte ;
Sur les vitres pas de buée : on ne vit plus
Mais on existe, car à force de fixer
Il finit par pleuvoir, il finit par neiger
Dans la pièce où bientôt glisseront
Les poissons, les pierres et les arbres.
Je ne parle pas du point retenant tout l’espace.
La femme et l’enfant : ils sont nus.
Ni de l’horloge au fond d’un miroir,
Ni du miroir où tout fond :
La lumière a sonné.
Seconde version
(parue dans "Derniers Poèmes ", La Coïncidence, Guy Chambelland Éditeur, Galerie le Pont de l’Épée, Paris, Second trimestre 1978, 64 pp.) :
IN MEMORIAM RENÉ ABERLENC
Maintenant je sais
La lumière est sourde
Les livres la maison
Ne sont plus
Ni rivière ni mains
Ne nous haussent
Au mur la peinture luit
Glissent
Les abeilles du jour
Qui sur sa tombe
Font vaciller l’espace
Jusqu’au fond de l’abîme
Le regard n’y défaut
n’en démord
Comme au bord du vertige
Un cri sans clameur
Le temps des amis
On en parle à Saint-Maur
Pris par la Petite Ceinture
A Vanves ce sont les mêmes
Traversant les murs gris
Sur des couchants de Comores
Pourquoi pas Baltimore
Vancouver quand tu y es
Ah pas même
Notre air s’il est vrai qu’y respire
Ton arche
Pour rouvrir aux absences d’amers
Tout l’espace
Si des neiges d’Alès aux terrasses
Les cascades du jour sont en marche
Battement de Paris sous la hache
Ardèche comme un choc d’armures
Et l’aube rit son feu de mûres
Le paysage s’égoutte un escrimeur y mure
Quel silence de mort
Montés de la couleur
Comme un frémissement du jour
Aux premières clartés qui s’emperlent
Quand tout parle
Les yeux de veuve
Se font plus fauves
Dans nos marais assèchent
Leurs fonds de lumière
Rien ne corrode l’âme
Même si la clabaude la mort
Ta peinture combat
Car la rumeur de ta poitrine de terre
N’est qu’un trompe-la-mort
Ton regard c’est l’été
Le pari de la lumière
Dans le jour qui nous pare
Ta plus tendre mesure la dernière
Dans la chair des clarines un soir
Est-ce qu’on meurt
Comme une ménagère rentrant du marché
L’ombre t’éclaire nul n’est âgé
Pour surseoir
Or si mourir
Est cette chose affreuse
Qui dans ton cas brise
Un enchantement
(quoi de pire)
Ta lumière est comme un embrasement
De vie heureuse
Arrêté en plein jour
Ton ciel ouvre un passage
Où ce qu’on respire c’est encore de l’air
S’il est vrai qu’au fond du temps tout chavire
Dis de quoi as-tu l’air toi
De vouloir mettre en balance
Le bonheur et la vie
Dans l’équilibre d’un paysage
Garde le silence
Pour qu’il soulève dans un fortissimo le rêve
Comme une hache dans un pare-brise
La peinture ton fer de lance
L’espace comme ton cœur
Juvénile
Toute réalité prend forme
Et c’est le quotidien
Tache énorme
Où tout tient
La clarté son feu d’ombre
Et l’amour comme une île
Où bloquée
Par sa rigueur
D’aube pendue au mur
Quand tout sombre
Ta peinture offre encore un bouquet
poèmes
1970 - Pluriel du temps - Paris, Librairie Saint-Germain-des-Prés (avec une gravure de Jean Carton)
1973 - La mort fond au matin - Paris, Chambelland (avec une lithographie de Paul Collomb)
1976 - Jour sans merci - Paris, Chambelland (avec une lithographie de Guy Bardone)
1978 - Derniers poèmes - Paris, La Coïncidence