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Entretiens avec René Aberlenc

 

Juliette Darle dans « L’Humanité » du 5 novembre 1960 : « Le Salon d’Automne a ouvert ses portes. Des artistes nous déclarent » : René Aberlenc : « Un art humain… » :
« Dans une période où l’on cultive systématiquement la confusion, où l’art abstrait devient l’art officiel, il me semble extrêmement important d’exposer dans un salon qui s’efforce de grouper toutes les tendances du figuratif. Tous ceux qui sont attachés aux valeurs que représente l’art à travers le temps et la tradition de notre École Française sentent le besoin de se grouper et de manifester leur attachement, leur foi en un art humain et bien vivant. »



Raymond Charmet dans « Arts » du 19 au 26 avril 1961 : « La figure »

René Aberlenc, né en 1920 à Alès, est un peintre autodidacte, qui a travaillé avec le groupe de la Ruche. Il a obtenu le prix des Jeunes Peintres en 1956, participe aux Salons d’automne, de la Jeune Peinture, des Peintres Témoins de leur Temps. Sa première exposition particulière, à la Galerie Vendôme, marque l’épanouissement de sa maîtrise dans le traitement de la figure humaine. Pourquoi la figure ? Il s’explique :

« Au point de vue de l’œuvre, elle pose des quantités de problèmes que j’ai eu à résoudre par des moyens proprement plastiques : couleur, forme, dessin, pour atteindre à un contenu humain. Je pense que c’est le sommet de l’art de donner une image de l’homme, comme les grands peintres du passé. La figure est pour moi un moyen d’envisager dans l’avenir la composition des grandes peintures à multiples figures, ainsi que les maîtres du XIXe siècle, Delacroix et surtout Courbet, dont j’admire la puissance. J’aspire à retrouver le côté intérieur, mystérieux, la psychologie profonde des êtres, en les situant dans leur milieu ».
La figure humaine est reniée généralement par l’avant-garde. Mais la fusion de l’homme dans le cosmos entraîne bien des illusions. Depuis Gruber, un retour assez général vers la figure se manifeste chez les jeunes, avec un souci évident de dessin et de réalisme. La valeur d’Aberlenc est d’y joindre en outre des préoccupations authentiques de coloriste.


François Garnier dans « Les Nouvelles du XVe » N° 60, du 26 avril 1964 : « René Aberlenc : « Je pense apporter cette petite part de bonheur... »
Né en 1920. Il arrive à Paris après la Libération. Trouve alors un atelier près de Montparnasse. Dès sa jeunesse, il suit des cours du soir de dessin. Pour subsister au départ, il est peintre en bâtiment et fait de la restauration de tableaux et de monuments publics ; ces métiers lui assurant aussi des temps libres pour peindre. En 1950, il se consacre entièrement à son art et depuis participe régulièrement aux grands Salons parisiens ; ce qui lui permet d’être connu de certains collectionneurs et marchands français et étrangers.

- Pour toi, la « vie d’artiste », qu’est-ce que c’est ?

- Une vraie vie d’artiste est une vie de travail, de discipline dans le travail et non de... rigolade ; mais une vie possible que dans la limite où on a les moyens de la mener. L’artiste a besoin d’un minimum pour assurer sa subsistance quotidienne, pour acheter du matériel, etc... À notre époque, je suis persuadé qu’il y a des dizaines de Mozart assassinés, faute de moyens... quant à la « vache enragée »...

- Certains pensent qu’elle pratique une sélection ? ...

- C’est FAUX... Il y en a qui lâchent parce qu’ils sont à bout, ils ne peuvent plus tenir le coup. Et ceux qui tiennent ont perdu un temps précieux. En ce qui me concerne, j’ai perdu dix ans. Dix ans ça compte dans une vie, car ce n’est qu’au bout, qu’en pleine maturité, que se travaillent les chefs-d’œuvre... Si je vis de mon art ? ... oui, enfin... ça n’est pas la grande vie, loin de là... Non, pas de contrat.

- Pourquoi ?

- Je n’en ai pas encore trouvé d’intéressant, je veux dire par là qui ne me force pas à un travail de production en série. Beaucoup de peintres sont tenus de fournir cinq à six toiles par mois, sinon plus, parfois choisies par le marchand dans l’atelier même ; ce qui dans bien des cas les oblige à demeurer dans une manière, à se conformer à un style précis. C’est de la fabrication, ce n’est plus de l’art. C’est une forme de suicide...

- Selon toi, quelle serait la forme équitable de contrat ?

- Celle permettant d’une part, une liberté absolue de création ; d’autre part, déterminant une exigence à la production, laissant à l’artiste le soin de fixer par lui-même le nombre de tableaux à lancer sur le marché par mois ou par an... car il y a des moments où l’on travaille intensément, d’autres non. On ne sait jamais bien où l’on va par avance. Parfois on démarre dans de bonnes conditions et l’on arrive nulle part ; d’autres fois, en se forçant à travailler, on fait de bonnes choses.

- Ce processus de création, qu’est-ce qui le déclenche ?

- « Le dessin n’est pas la forme, disait Degas, c’est le sentiment qu’on a de la forme »... On a d’abord le sentiment d’une chose donnée... Même si on copie la nature, on la copie à travers soi-même ; la part de soi qu’on y met, c’est assurément ce qui la rend autre, humaine, dans la mesure où on la transpose, où l’on recrée la nature.

- Cinquième question... ton atelier... tes voisins ?

- Tu sais, dans cet HLM, on ne se rencontre que dans l’ascenseur...

- Et avant ?

- La question ne se posait pas ; je vivais parmi d’autres artistes. En général, les artistes vivent en vase clos ; ils se regroupent par tendance ; ils fréquentent, en dehors des amateurs, les gens susceptibles de leur apporter une nourriture spirituelle, ceux qui partagent leur même conception de l’esthétique... Les artistes, je parle en général, ne se sentent pas intégrés à la vie sociale : ils ne connaissent pas les assurances sociales... C’est une vie d’aventure. À part pour celui qui « réussit », l’artiste a de grandes chances de crever de faim et de ne recevoir aucun secours...

- Et toi ?

- Je me sens intégré à la société. Je pense apporter cette petite part de bonheur que l’art amène aux hommes ; c’est-à-dire tout ce qui grandit l’homme, tout ce qui le rend supérieur à l’animal, ce qui le rend plus humain chaque jour... Une attitude ? Plus, un engagement. Pour moi, l’artiste doit prendre sa place dans les rangs de ceux qui luttent pour que ça change, avec les progressistes de tous les milieux et la classe ouvrière en général... Tu vois actuellement, l’art est officiellement dirigé par Malraux dans un sens unique : l’abstrait et toutes les spéculations qu’on sait. Depuis la venue de Malraux, on assiste à la mise à l’index de l’art réaliste... C’est pour cette raison qu’un Maître comme le sculpteur Marcel Gimond attend toujours une rétrospective à Paris, à titre posthume...

- Dernière question...

- Pour les jeunes, l’aide au niveau des Écoles sera plus importante. Ensuite, ils auront l’assurance d’une vie matérielle leur permettant de créer plus librement. Quant aux relations sociales, la multiplication des salles d’exposition, les conditions et les moyens offerts d’une part et l’éducation des masses d’autre part, tout cela assurera aux artistes un public plus vaste. Ils pourront alors préparer les grands chantiers de l’avenir. On reviendra peu à peu à une grande école culturelle déterminant du même coup notre société. L’art s’épanouira dans toutes ses dimensions."

 

F. Garnier dans « Les Nouvelles du XVe » de juillet 1965 : « René Aberlenc, lauréat 1965 du Prix de la Critique »
Autre agréable fin de saison avec l’attribution fort méritée, samedi dernier, à notre ami René Aberlenc, du Prix de la Critique.

« Pour une fois, les critiques n’ont pas été trop c... » écrivit un visiteur sur le livre d’or de l’exposition. Je ne commenterai pas... Comme son nom l’indique, ce Prix est attribué chaque année par un jury composé de 10 critiques d’art de renom à un artiste ayant réuni la majorité des voies sur son nom et choisi parmi les 20 sélectionnés du Prix. La sélection du Prix de la Critique 1965 fait l’objet d’une exposition à la Galerie Saint-Placide (41 rue Saint-Placide) du 3 au 10 juillet. (...)
Depuis 1947, ce prix fut attribué à des artistes comme Lorjou, Bernard Buffet, Minaux, Pressmane, Jean Carton, etc... ce qui en illustre l’importance. Aussi sommes-nous très heureux que ce soit un ami des « Nouvelles du XVe » qui en soit cette année le lauréat et cela d’autant plus que, par sa sensibilité et son métier, Aberlenc doit à juste titre être considéré comme un grand peintre contemporain. Ceux d’entre vous qui eurent l’occasion de visiter cette année l’exposition « L’Art et la Paix » se souviennent de sa grande toile intitulée « Maison de banlieue ». Nous aurons à la rentrée assurément l’occasion de regarder des œuvres récentes de ce peintre, ne serait-ce que lors de l’exposition personnelle que lui consacrera la galerie Saint-Placide en septembre, comme il est de coutume de le faire chaque année au lauréat.
Nous avons posé à Aberlenc quelques questions :

- Que représente pour toi l’attribution du Prix de la Critique ?

- C’est un encouragement qui compense la somme des déceptions que l’on rencontre dans le processus de création et dans la vie en général...

- Comment te situes-tu dans la peinture contemporaine ?

- J’appartiens à ce courant de la peinture figurative né après la guerre et qui s’est concrétisé au Salon de la Jeune Peinture entre les années 50 et 60. Je suis resté fidèle à cette tendance, à un certain goût de la vérité et à une certaine forme d’humanisme. Je pense que la vie est une source quotidienne d’inspiration qui n’exclut pas, mais au contraire développe la recherche et l’évolution de l’artiste en dehors de tout académisme.


Juliette Darle dans « L’Humanité-Dimanche » du 18 juillet 1965 : « Entretien avec un peintre d’aujourd’hui, René Aberlenc, Prix de la Critique 1965 »
Un jury, présidé cette année par Maximilien Gauthier, vient de dé­cerner le Prix de la Critique 1965 au peintre René Aberlenc. Depuis 1947, ce Prix révéla au grand public des artistes tels que Lorjou et Buf­fet, Yvonne Mottet, André Minaux, Pressmane, Jean Carton et Anna Kyndinis, Pierre Lesieur...
Des mentions de peinture furent attribuées cette année à Milshtein et à Menguy, des mentions de dessin à Clayette et au jeune peintre espagnol Ibarrola emprisonné à Burgos depuis trois ans. (On peut voir à la galerie Epona, 8, rue Monsieur-le-Prince, un ensemble de dessins qu’il exécuta pendant sa détention.)
La sélection de la galerie Saint-Placide, particulièrement intéressante cette année, comprenait encore des aquarelles de Jean Montchougny, des toiles de Peltier, d’Ortega, de Bertin et d’Hélène Girod de l’Ain, l’un des pein­tres les plus authentiques de sa génération.
Aberlenc n’est pas un inconnu dans ce journal pour lequel il fit, voilà quelques années, plusieurs dessins illustrant des nouvelles de Gaston Baissette. Il s’est fait un plaisir de répondre aux questions qui lui furent posées à l’intention de nos lecteurs. »

Primauté du dessin

- Je suis reconnaissant au jury, dit Aberlenc, d’avoir distingué un travail aussi peu à la mode que le mien. Je suis d’autant plus heureux que je n’ai jamais été, vous le savez d’ailleurs, candidat à aucun prix.

Personne ne présente sa candidature au Prix de la Critique. Les membres du jury retiennent, au cours des manifestations de l’année, une sélection d’artistes parmi lesquels sera élu le lauréat. C’est à l’exposition « Pres­tige du dessin » chez Anne Colin, à laquelle il participait en compagnie des sculpteurs Jean Carton, René Babin, Corbin, Kretz, Raymond-Martin, qu’Aberlenc fut remarqué par l’écrivain d’art Jean Dalevèze.

- Que représente pour vous le dessin ?

- J’ai toujours dessiné. Quand j’ai présenté celle qui devait devenir ma femme à ma première Institutrice, à l’école maternelle d’Alès, nous avons feuilleté ensemble les cahiers que j’avais à 4 ans. Ils sont remplis de dessins... J’ai toujours continué.

- Comment avez-vous étudié le dessin ?

- A 14 ans, j’ai commencé à travailler neuf à dix heures par jour comme peintre en bâtiment pour des entrepreneurs. Je peignais des appartements, des viaducs, des disques de chemins de fer... Le soir, j’allais à l’école municipale de dessin d’Alès...

Simplement posées contre le mur ou sur un chevalet, les toiles semblent de passage dans l’atelier qui prend jour sur l’ancienne voie de la petite ceinture où les trains circulent rarement et qu’envahissent peu à peu les arbres et la verdure. Le regard s’arrête ici, dans une lumière choisie, sur quelques dessins admirables qui pourraient figurer dans n’importe quel musée, à côté d’Ingres, de Degas, de Dürer... Ce sont des œuvres de Carton, de Kretz et deux nus d’Aberlenc, d’une singulière pureté d’esprit et de trait.

Ce peintre, qui dessine aujourd’hui comme on savait le faire autrefois, précise de lui-même : « Je ne manque jamais, depuis que je suis à Paris, une exposition du cabinet des dessins, au musée du Louvre. »

Peintre en bâtiment

- Quand êtes-vous venu à Paris ?

- J’y suis « monté » à la Libération. J’avais rencontré Jean Carton à Alès. Il me dit de venir à Paris. Ma mère, qui m’avait toujours encouragé, me laissa libre de partir. À Paris où j’arrivai inopinément, je retrouvai Carton en compagnie de Volti au vernissage d’un peintre nommé Civet. Je passai la première nuit rue Perceval, dans l’atelier de Volti, qui me montra les dessins qu’il rapportait de captivité.

Je devais faire de la peinture en bâtiment pendant huit ans. Jusqu’en 1952. J’emménageai bientôt dans un atelier, rue du Moulin de Beurre, avec, pour tous meubles, trois caisses et un sommier prêtés par le concierge. Je n’en sortis que pour venir ici. Je n’ai jamais quitté ce quartier, ce voisinage de la « Ruche » et des abattoirs de Vaugirard.

- Quand pouviez-vous peindre ?

- Je peignais assez peu, mais je dessinais tous les soirs. En arrivant à Paris, j’avais rencontré le jeune sculpteur René Babin. Nous étions devenus tout de sui­te très copains, nous faisions ensemble des travaux de bâtiment, nous dessinions ensemble, prenant un modèle à nous deux.
En 1948, je me suis marié et Pierrette, ma femme, s’est mise à poser pour moi tous les soirs. Licenciée de philosophie, elle est devenue professeur d’enseignement technique, ce qui m’a permis de réduire à mi-temps la peinture en bâtiment. Je peignais enfin une demi-journée, des portraits, des natures mortes, des paysages...

Les amis de la « Ruche »... Siqueiros

- Quand avez-vous exposé pour la première fois ?

- En 1947, Carton m’avait fait exposer au Salon des Tuileries. Je n’exposai à nouveau que cinq ans plus tard, au Salon des Indépendants. En 1953, je participai au Salon de la Jeune Peinture.

- Ne fréquentiez-vous pas alors les jeunes peintres de la « Ruche » ?

- Babin et moi, nous avions rencontré Paul Rebeyrolle à l’Union des Arts Plastiques. Nous sommes devenus des habitués de la « Ruche ». J’y ai fait la connaissance des peintres Michel de Gallard, Roger Grand, Thompson, Simone Dat, Bocchi, Claude Autenheimer, Biras, Cueco, Garcia-Fons... Nous y rencontrions très souvent les musiciens Philippe Gérard et Jean Prodromidès, l’acteur Claude Martin, des écrivains, Marcel Zahar, Pierre Gaudibert, Kédros, tous les amis de Rebeyrolle... et parfois d’autres peintres, Mouly, Paul Collomb. Robert Doisneau venait nous voir, les photos qu’il a prises sont connues. Je me souviens du jour où le peintre italien Renato Guttuso est venu à la « Ruche » avec sa femme. Il y avait Lorjou, que je voyais pour la première fois.
Et Siqueiros ! Un être comme Siqueiros, ça impressionne. On ne l’oublie pas. Siqueiros, qui revenait d’URSS, nous avait donné rendez-vous. Nous avons dîné tous ensemble. Il nous a raconté sa vie mouvementée de colonel de la Libération. Les discussions esthétiques étaient pour lui une chose dépassée. Il concevait la peinture comme un langage pour son peuple. Il était pris par la portée sociale de l’art.

Toujours Courbet, Rembrandt

- Quels peintres admiriez-vous alors ?

- L’ambiance de la « Ruche » a compté pour moi, cette grande fraternité qu’il y avait. Et l’on croyait vraiment à la peinture ! Ma grande admiration d’alors, c’était Utrillo, les œuvres d’avant 1914. Le côté un peu dur de sa peinture nous touchait. C’était ça et pas le misérabilisme que l’on dit, la « Ruche » au début. Il y eut aussi l’influence de Lorjou, surtout à l’époque de l’Homme-Témoin. Marcel Gimond, lui, je l’ai rencontré au Salon de la Jeune Peinture. Je suis souvent allé le voir à son atelier...

Ainsi se forma, en vingt ans de confrontations dans les salons et de contacts avec la vie, cet artiste qui s’est véritablement ré-vélé voici quatre ans, alors que son art s’imposait déjà, par cette première exposition à la Galerie Vendôme qui fit événement. Le grand peintre qui s’annonçait déjà n’a cessé de s’affirmer par une ampleur nouvelle du souffle et ce naturel, cette liberté obtenus comme de surcroît à force d’appro-fondir sa connaissance de la na-ture, de serrer l’analyse des formes.

- Et maintenant, quels sont vos maîtres ?

- Toujours les mêmes finalement. Rembrandt, Vélasquez, Goya, Courbet, Chardin, Degas et Cézanne... J’aime aussi les Vénitiens, Le Tintoret, ce portrait par lui-même dont personne ne parle... Watteau, les impressionnistes... Ce dont je suis sûr, c’est que je partirai toujours de la vie, la source inépuisable d’inspiration. Se remettre tous les jours devant le motif, avec une émotion vraie et tirer de cette émotion les formes modernes susceptibles de la communiquer !

Ainsi se forma, en vingt ans de confrontations dans les salons et de contacts avec la vie, cet artiste qui s’est véritablement révélé voici quatre ans, alors que son art s’imposait déjà, par cette première exposition à la Galerie Vendôme qui fit événement. Le grand peintre qui s’annonçait déjà n’a cessé de s’affirmer par une ampleur nouvelle du souffle et ce naturel, cette liberté obtenus comme de surcroît à force d’approfondir sa connaissance de la nature, de serrer l’analyse des formes.

 

Jean Dalevèze dans « Aux Écoutes » du 22 juillet 1965 : « Dans leur atelier. René Aberlenc »
René Aberlenc, dernier lauréat du prix de la Critique, n’est certes pas un inconnu pour ceux qui, ne s’arrêtant pas aux peintres déjà hissés sur le pavois de la célébrité, suivent les salons, vont à la découverte des expositions. Mais c’est un homme discret, modeste, qui laisse à sa peinture le soin de parler pour lui, et que son travail absorbe davantage que les réunions mondaines. Il va son bonhomme de chemin, s’efforçant d’exprimer le mieux possible ce qu’il doit dire, s’émerveillant d’un corps de femme dans la lumière, d’un paysage, de la nature morte que composent soudain deux poissons posés sur un plat, difficile envers lui-même, insatisfait.

- Je travaille tous les jours, me dit-il, et s’il arrive qu’une journée se passe sans que j’aie dessiné ou peint, j’ai l’impression d’avoir perdu mon temps. Mais je produis peu, en définitive, parce que je reviens longuement sur mes toiles, peut-être trop, même. Et puis je détruis beaucoup. Vous savez, quand on se compare aux grands, on ne trouve jamais que ce que l’on fait est bon.

La verrière de l’atelier, au rez-de-chaussée d’un immeuble moderne, près des abattoirs de Vaugirard, ouvre sur la voie de l’ancien chemin de fer de ceinture, sur l’herbe du talus et la verdure de quelques arbres, inattendus dans ce quartier.

- Comment êtes-vous devenu peintre ? Le milieu dans lequel vous êtes né, il y a de cela un peu moins de quarante-cinq ans, ne vous y prédisposait guère.
Aberlenc, sagement assis sur un tabouret devant sa table à dessiner, sourit.

- Pas du tout, non. Ma mère tenait un petit commerce d’alimentation, à Alès. Pourtant j’ai toujours eu envie de dessiner, de peindre. J’ai toujours voulu devenir un peintre. Mais ça n’a pas été commode. A quatorze ans, j’ai du gagner ma vie. J’ai été peintre en bâtiment, restaurateur de tableaux... Le soir, ma journée finie, j’allais étudier à l’école de dessin. J’ai toujours beaucoup dessiné, et je continue. A dix-huit ans, j’ai eu la chance de rencontrer le sculpteur Carton, à qui je dois beaucoup. Quand le suis « monté » à Paris, après la guerre, c’était pareil... Vous voyez, je ne suis passé par aucune école. Mais je pense que la meilleure de toutes, c’est encore de fréquenter les musées. J’y vais souvent, et le soir, je feuillette des albums de reproductions... Je devais avoir trente-trois ans lorsque je me suis risqué, pour la première fois, à montrer dans un salon ce que je faisais.

- Si je vous demandais, lui dis-je, de résumer vers quoi tendent vos efforts, que répondriez-vous ?

- Le contrôle de la sensibilité par l’intelligence, la leçon de Cézanne, en somme. Mais, chez moi, la sensibilité l’emporte encore trop souvent. Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est de s’enfermer dans une théorie, dans des formules. La peinture est un combat perpétuel, ce qui la rend passionnante, d’ailleurs. Ce qui compte avant tout, à mes yeux, c’est ce qui est vrai, la vie. Je crois que si, partant de la vie, je peux réussir une synthèse entre la sensibilité et l’intelligence, je parviendrai à faire quelque chose qui sera complet.

Souhaitons que le Prix de la Critique qui vient de lui être donné fasse mieux connaître René Aberlenc, cet homme modeste, ce vrai peintre, il le mérite.


Le samedi 16 octobre 1965, vernissage de l'exposition de l’Union des Arts Plastiques au Petit-Quevilly, près de Rouen. René lit un texte qu'il a préparé :
« Je ne vais pas vous infliger un long discours, d’autant plus que, si l’on peut parler longtemps de la peinture en général, il est toujours difficile de parler de la sienne.
J’appartiens à cette école figurative née après la guerre et qui s’est caractérisée au SALON DE LA JEUNE PEINTURE de 1950 à 1960.
Cette tendance prend sa source d’inspiration dans la nature.
« La nature transposée en peinture », ce qui veut dire que s’il y a un sujet, un dessin, une couleur tirés de la réali­té, il n’y a pas copie mais interprétation, transposition.
C’est dans la transposition que réside la personnalité de l’artiste. Dans ce sens, l’interprétation est multiple (car ici il n’y a pas de loi, chaque artiste a sa loi, comme il a ses limites). C’est au créateur d’introduire là son émotion, sa sensibilité, son langage propre.
Le chemin de l’art est difficile. Sollicitée et exaspérée par les créations les plus extravagantes de notre temps, la sensibilité s’émousse et il est de plus en plus difficile de trier le bon grain de l’ivraie. Notre époque est caractérisée en matière d’art par la recherche, parfois décevante mais toujours respectable lorsqu’elle est sincère. L’erreur serait de croire ceci est intéressant parce que figuratif, ceci est intéressant parce qu'abstrait ; dans tous les genres, toutes les tendances, il y a des maniéristes, les académistes, les fabricants c’est-à-dire ceux qui ont trouvé une manière et qui l’exploitent.
La grande vérité on art, c’est de se remettre au travail avec la pureté de l’enfant, en remettant sans cesse en cause ce que l’on a fait la veille.
En ce qui me concerne, j’essaie de faire un art d’aujourd’hui, un art qui ne veut rien abdiquer des différents genres de la peinture de toujours : portrait, composition, nature morte, paysage, sans négliger les découvertes des grands novateurs modernes, notamment en matière de couleurs, tout en restant fidèle à la grande tradition humaniste des grands artistes du passé ».

Il dira aussi :

« Le sens même des valeurs authentiques a disparu. Certaines de leurs soi-disant découvertes sont allées si loin qu’on est venu à nous présenter comme œuvres d’art des objets de rebut, des pièces désaffectées, des automobiles écrasées. Il ne s’agit plus d’enrichissement, mais d’appauvrissement ; négation de la pensée, de l’art et de l’homme »

 

Réponses au questionnaire (1969), édité par "Les Amis de Gustave Courbet" :

Avant toute chose, je voudrais dire que Courbet est un des plus grands peintres de l’histoire, un grand parmi les grands.

1. A notre époque où les Arts plastiques sont en pleine évolution, où abstraction et figuration ont tendance à s’opposer, pensez-vous que Courbet, le réaliste, a sa part dans cet état de choses ?

1. Dans une époque où le délire pseudo-intellectuel, le bricolage et l’imposture semblent conduire les arts, où la confusion est à son comble, où l’on confond maniérisme et style, peinture et décoration, originalité et mode, Courbet est là pour nous enseigner qu’il n’y a pas de vérité hors de la nature et des hommes.

2. En ce qui vous concerne, quelle influence accordez-vous à son art ?

2. Son influence reste pour moi prépondérante. Courbet enseigne que le réalisme, à l’inverse du naturalisme, est toujours synthèse. Courbet voit grand, prodigieux plasticien il dépasse l’anecdotique, le descriptif, pour nous conduire à travers une matière savoureuse à une réalité vraie où la banalité est toujours exclue.

3. Quel tableau, dans son œuvre, a le plus d’intérêt pour vous ?

3. Dans son œuvre si vaste, « Un enterrement à Ornans » est sans doute la toile qui me séduit le plus, mais j’aime aussi « l’atelier », « Les Demoiselles de la Seine », des portraits, des paysages, d’autres encore, sans oublier certaines truites extraordinaires.

 

 

 

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